Simon Eaddy a grandi à trois minutes de la côte du Taranaki, où l’on trouve certaines des meilleures vagues de Nouvelle-Zélande, mais il ne pratique pas le surf. « J’ai aussi trouvé le moyen d’éviter le rugby, ce qui est plutôt incroyable pour un Kiwi comme moi », dit-il.
La carrière d’entraîneur d’Eaddy a démarré à la Fédération de soccer de la Nouvelle-Zélande où il a rencontré John Herdman en 2006. Impressionné par le leadership d’Herdman, Eaddy a décidé de le suivre au Canada en 2012 pour l’aider à diriger le programme de l’équipe nationale féminine du Canada. Le succès a été rapide avec une médaille de bronze aux Jeux olympiques d’été, mais Eaddy comme le reste de l’équipe sait que de plus grands défis sont au menu.
Canada Soccer (CS) a parlé avec Eaddy (SE) à son bureau de Vancouver.
CS : Parlons de ballon rond maintenant. Quel est ton rôle comme entraîneur adjoint de l’équipe nationale féminine…
SE : Ma principale responsabilité est de travailler avec les gardiens, particulièrement Erin (McLeod), Steph (Labbé) et Karina (LeBlanc). Je dois aussi garder un œil sur les athlètes qui sortent des universités et qui sont admissibles pour l’équipe nationale féminine.
En matière de soutien technique, je me concentre surtout sur les jeux arrêtés. Je suis aussi impliqué dans la sélection de l’équipe et de temps à autre je fais du dépistage auprès de nos adversaires. La plupart du temps, je reste organisé au niveau technique pour que John [Herdman], en particulier, se concentre sur la préparation de matchs.
CS : Qu’est-ce qui t’a attiré au soccer féminin?
SE : Trois éléments. D’abord, je savais que j’avais atteint mon sommet comme joueur. Le sport féminin [à commencer par l’équipe nationale de la Nouvelle-Zélande] m’a donné l’occasion d’expérimenter plus, d’abord avec la Coupe du Monde Féminine U-20 de la FIFA, Russie 2006, puis à la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, Chine 2007™, suivie par la Coupe du Monde Féminine de la FIFA, Allemagne 2011™.
Le deuxième élément a été de pouvoir travailler avec John [Herdman], parce qu’il est un gars phénoménal. À l’extérieur de l’école [Eaddy détient un diplôme d’enseignant et une maîtrise en sciences sociales], j’en ai plus appris de lui que lors de toutes les autres étapes de ma vie. Je dirais que j’en apprends encore, ce qui est très, très bon.
L’importance des gens avec qui tu travailles est le deuxième élément.
Troisièmement et aussi bizarre que cela puisse sonner, il y a du cynisme envers le soccer masculin contrairement au soccer féminin. Une des meilleures choses à propos de la médaille de bronze du Canada est de savoir que chaque joueuse a vraiment sacrifié des choses énormes, que ce soit une carrière, l’éducation ou la famille pour vivre ce moment. De ce point de vue c’est simplement très, très gratifiant.
CS : Quand vient le temps d’enseigner aux gardiens, quelle est l’importance des aspects psychologiques du sport?
SE : Je crois que c’est crucial. Quand les enfants ont une affinité pour le poste de gardien et qu’ils veulent poursuivre sur cette voie, je leur demande s’ils comprennent leur description de tâches. Ils me répondent habituellement que c’est leur travail d’empêcher le ballon d’entrer dans le but. »
C’est à ce moment que je leur demande : « Es-tu prêt(e) à connaître l’échec? Parce qu’il y aura des buts marqués contre toi chaque jour à l’entraînement et au moins une fois aux deux matchs. » Je ne le fais pas pour être méchant, mais je leur dit qu’ils ne joueront pas à la hauteur de leur description de tâche pour qu’ils puissent avoir un point de référence.
Il est important qu’ils comprennent qu’il y aura des erreurs et que si vous n’avez pas cette conversation, particulièrement avec les jeunes gardiens, ils ont tendance à sombrer parce qu’ils sont déçus. Je vous répondrais alors que les facteurs psychologiques sont des éléments sous-jacents avec lesquels les gardiens doivent traiter, mais ce n’est pas là l’élément le plus important.
Il est toutefois important d’en parler parce que le public ne l’entend pas assez. Souvenez-vous qu’un des gardiens internationaux allemands [Robert Enke] a commis un suicide il y a environ cinq ans, cela partiellement parce qu’il trouvait son travail difficile.
L’autre chose que je dirais est que vous devez aussi gérer les gardiens qui ne jouent pas. Si vous êtes deux ou trois, vous savez que vous ne verrez pas tellement le terrain s’il y a un(e) titulaire établi(e). Travailler de près avec ces joueurs pour qu’ils progressent sans avoir de relation cynique est aussi important.
CS : Vous avez dit qu’il y a quelque chose d’encore plus important que l’aspect psychologique dans le jeu des gardiens.
SE : Oui est une fois de plus je parle d’un point de vue de développement des entraîneurs. Je crois que la partie la plus importante est de créer des sessions d’entraînement pour les gardiens qui ressemblent à des matchs et qui donnent l’impression d’y être.
Si vous n’encadrez pas les gardiens dans des situations de match, il est difficile pour eux d’apprendre aussi rapidement qu’ils devraient le faire. C’est comme d’enseigner à quelqu’un à conduire, mais de passer tout le temps dans un parc de stationnement et s’attendre ensuite que cette personne puisse se déplacer sur la route sans incident.
Je vois trop de ces situations avec les gardiens. L’entraîneur envoie le ballon au joueur ou il lui lance et parfois même pas près du but si bien qu’il n’y a aucun cadre de référence. Cela conduit à ce que nous parlions auparavant. Si vous n’arrivez pas à créer des situations réalistes à l’entraînement, il sera difficile de traiter les aspects psychologiques du jeu.
C’est pourquoi c’est la chose la plus importante. Cela rend aussi l’entraînement plus intéressant pour le gardien puisque cela crée de la diversité et empêche la stagnation.
CS : Qui sont les gardiens que vous recommandez à vos joueurs comme modèles?
SE : Il y en a quelques-uns. Valdés (Espagne/FC Barcelone) est très bon, tout comme Iker Casillas (Espagne/Real Madrid), Hugo Lloris (France/Tottenham) et Joe Hart (Angleterre/Manchester City) même si ce dernier a connu un départ difficile [la saison dernière]. Si vous n’avez qu’un seul gardien à suivre, je vous conseille toutefois Manuel Neuer (Allemagne / Bayern Munich).
Je crois que Neuer transforme la façon dont les gardiens jouent en matière de distribution, particulièrement avec Guardiola et dans sa capacité de jouer avec les pieds. Ici au Canada, tous les jeunes qui veulent apprendre devraient observer Erin, Karina et Steph. J’encourage les jeunes qui le désirent à venir observer une de nos sessions et il n’y a aucun doute pour moi qu’ils y apprendront les pratiques exemplaires.
CS : Que vois-tu quand tu observes un gars comme Neuer?
SE : Une des choses que je regarde est la rapidité à laquelle ils [gardiens de haut niveau] répondent à tout type de tir, de centre ou autres ballons dirigés vers eux. Dans le haut niveau, ils doivent être en mesure de reconnaître plusieurs indices. Ils ont appris à les reconnaître puisqu’ils ont accumulé suffisamment d’heures de qualité, mais ils ont aussi vu les meilleurs joueurs au monde exécuter ces jeux devant eux.
Quand j’utilise notre logiciel pour analyser les joueurs [avec des mouvements séquencés à 30 images/seconde], je peux savoir à quelle vitesse ils réagissent à toute cette information. Je peux ensuite comparer ces données à nos gardiens en développement ou même à des gardiens dans le soccer féminin qui n’ont pas encore accumulé suffisamment d’heures de qualité. Je peux ainsi élaborer des sessions d’entraînement encore plus efficaces visant à les alerter à ces indices, ce qui accélère leur apprentissage.
CS : Est-ce que le développement des joueurs repose alors vraiment sur la génération d’heures de qualité aussi tôt que possible dès le plus jeune âge possible?
SE : Sans aucun doute oui. C’est ce qui manque au Canada. Nous n’avons pas encore un système en place qui se compare aux meilleures nations de football. Nous avons besoin de personnes plus informées au poste d’entraîneur pour que les gens soient conscients des pratiques exemplaires. Jusqu’à ce que nous parvenions à créer des sessions qui offrent des heures de grande qualité, nous ne produirons pas des joueurs de grande qualité.
CS : Est-ce que nous réaliserons des progrès en changeant la culture nationale?
SE : Je dirais que c’est la culture du sport plutôt que la culture extérieure qui doit changer. Par contre, je crois que si vous modifiez la culture dans le sport, alors la culture extérieure suivra.
Nous sommes en position de changer la culture des clubs et des programmes régionaux de développement. Nous avons un auditoire engagé qui non seulement aime ce sport, mais qui aspire aussi à jouer de façon compétitive. Offrons-leur une plus grande compréhension de la haute performance sans miner le plaisir des occasions sociales que le soccer procure à ceux qui choisissent un parcours plus détendu.
CS : Si on revient aux aspects psychologiques du jeu, que dites-vous aux jeunes gardiens pour les aider à se relever, puisque, comme tu l’as dit, le ballon ne cesse jamais de retourner au fond du filet?
SE : Je crois que c’est là qu’il est important de bâtir une relation avec les joueurs. Honnêtement, c’est la partie la plus gratifiante de mon travail, de savoir que j’ai une responsabilité, que j’ai un rôle à jouer dans le plus grand moment d’une personne.
Pour ce qui est du contenu de mon discours, il est adapté pour chaque joueuse. Je cherche à : a) offrir de l’empathie en reconnaissant qu’elles ne se sentent pas bien, b) offrir autant d’information que possible pour les aider à comprendre ce qui a pu se produire et c) les aider à s’améliorer pour que cela ne se produise pas à nouveau. Donc, vous leur offrez un peu d’espoir.
Je crois que si vous passez à côté de l’empathie ou de l’encadrement, le problème est que le gardien va probablement commettre la même erreur; il ou elle sera déçu(e) et, quand on parle de jeunes enfants, ils risquent d’abandonner leur parcours de gardien de but.
CS : Que dites-vous aux gardiens sur le banc?
SE : Il est important surtout d’être honnête à leur endroit. La bonne chose à propos de ma carrière de joueur et cela m’aide dans mon travail d’entraîneur est que j’ai été un titulaire, un second et un troisième. Mon souvenir le plus frustrant sans parler de mon pire souvenir remonte aux moments où mes entraîneurs ne me disaient pas pourquoi j’étais le second ou le troisième ni comment je pouvais devenir titulaire.
Je crois que la première chose est donc d’être vraiment honnête avec les joueurs à propos de leur situation réelle et de ce qu’ils doivent faire, mais aussi et plus important encore, il faut leur expliquer ce qu’il ou elle doit faire pour devenir titulaire.
CS : Quelle est la différence être l’obtention de résultats et la production de résultats gagnants?
SE : Si on pense à un match... il faut marquer plus de buts que l’adversaire. Pour marquer des buts, il faut produire certaines choses. Il doit y avoir des tirs, des centres, les joueuses doivent exécuter certaines choses à l’attaque qui conduisent aux buts. Même si l’objectif du sport est de marquer ces buts, c’est aussi à propos de ce que vous faites comme équipe pour produire ces occasions de marquer de qualité.
Si vous vous concentrez uniquement sur le résultat alors vous allez jouer d’une certaine façon qui ne va pas nécessairement contribuer à l’apprentissage des joueurs. Ce n’est pas ce que nous désirons faire à un an d’une Coupe du Monde Féminine de la FIFA™. En 2015, nous allons jouer pour garantir un résultat, mais aujourd’hui, nous développons des performances.
Nous n’avons aucun doute de vouloir vaincre les États-Unis, l’Allemagne et le Japon en 2014 à la maison. De mon point de vue, nous voulons non seulement l’emporter, mais aussi blanchir l’adversaire. En même temps, nous voulons nous assurer que le match nous procure une occasion d’apprendre de nos adversaires pour que lorsque nous les affronterons quand cela comptera vraiment, nous aurons développé une plus grande compréhension de ce que nous devons faire pour les vaincre. Cela ne signifie pas que la victoire n’est pas importante, mais c’est comment nous jouons pour gagner qui est important.